jeudi 12 avril 2012

Cybèle assassinée

 



  La terre a pour amis les moissonneurs ; le soir,
Elle voudrait chasser du vaste horizon noir
L'âpre essaim des corbeaux voraces,
A l'heure où le boeuf las dit : Rentrons maintenant ;
Quand les bruns laboureurs s'en reviennent traînant
Les socs pareils à des cuirasses.

Elle enfante sans fin les fleurs qui durent peu ;
Les fleurs ne font jamais de reproches à Dieu ;
Des chastes lys, des vignes mûres,
Des myrtes frissonnant au vent, jamais un cri
Ne monte vers le ciel vénérable, attendri
Par l'innocence des murmures.

Elle ouvre un livre obscur sous les rameaux épais ;
Elle fait son possible, et prodigue la paix
Au rocher, à l'arbre, à la plante,
Pour nous éclairer, nous, fils de Cham et d'Hermès,
Qui sommes condamnés à ne lire jamais
Qu'à de la lumière tremblante.

Son but, c'est la naissance et ce n'est pas la mort ;
C'est la bouche qui parle et non la dent qui mord ;
Quand la guerre infâme se rue
Creusant dans l'homme un vil sillon de sang baigné,
Farouche, elle détourne un regard indigné
De cette sinistre charrue.

Meurtrie, elle demande aux hommes : A quoi sert
Le ravage ? Quel fruit produira le désert ?
Pourquoi tuer la plaine verte ?
Elle ne trouve pas utiles les méchants,
Et pleure la beauté virginale des champs
Déshonorés en pure perte.


Victor Hugo, extrait de "la terre-hymne", la légende des siècles.





 

3 commentaires: