mercredi 24 juillet 2013

Rendez-vous de chantier






L'heure n'est plus aux fuites, c'est les poutres qu'on se prend sur la tête. Visiblement la maison ne tient plus trop debout, la charpente s'effondre et les murs se lézardent. Les propriétaires des lieux font le tour, invitent des experts pour une estimation de l'ampleur des dégâts. On jauge les murs qui prennent de drôles d'inclinaisons, on s'ahurit devant les fenêtres de travers et on se désole sur la pluie qui pourrit la bibliothèque et engorge les beaux livres anciens de moisissure. Ainsi s'en va-t-il de tant de gens réveillés par une soudaine douche intempestive et qui sont sortis de leur lit, furieux d'être ainsi dérangés, mais bien en train pour mettre du plâtre dans les trous!
Au lieu de trouver le vrai problème du désastre, ils vont chercher midi à leur porte et donner de l'importance à ce que leur tripe animale désignera. Un tel verra la fenêtre de travers et voudra rajouter un peu de plâtre pour retrouver le niveau, sans se poser de question sur la validité du processus à long terme. Un autre s'attaquera à ces lézardes si moches par un placardage de matériaux hétéroclites. Toutefois, il se trouvera bien une petite voix, une sorte de petit enfant jouant dans la terre à côté de la maison, qui dira malicieusement que dessous la maison il y a plein de trous pour se cacher. Nos hommes importants, bien trop occupés à plâtrer consciencieusement leurs acquis sociaux et leur niveau de vie occidental n'entendront pas ou ne feront pas attention à cette découverte enfantine. Ils se démènent avec un bel enthousiasme qui fait plaisir à voir et pourtant le travail réalisé n'est qu'un amas de désolation. Les pluies reviennent, les plâtres fondent et retombent. Le découragement gagne les premiers tandis que les plus jeunes reprennent le flambeau du plâtre et de nouveau projettent et talochent cet enduit blanc sur cette façade pourrie.
Un expert un peu plus honnête dénoncera la fragilité des fondations, démontrera l'instabilité du sol sablonneux sur lequel est construite la maison, et diagnostiquera la destruction du bâtiment pour une reconstruction en d'autres lieux. Mais c'est sans compter sur l'attachement viscéral des propriétaires pleins de leurs petites certitudes d'enfants gâtés à ce projet conçu par eux dans un grand élan de liberté et de fraternité. Tous ensemble ils l'ont construite cette république, tous ensemble ils l'ont maintenue à bout de bras, ils sont devenus grâce à elle des hommes et des femmes fiers et libres, désormais non soumis à toute supériorité psychologique et spirituelle, non soumis à toute hiérarchie physique, imaginent-ils.
Pourtant cette soumission était garante d'une fondation solide comme le roc.
Pourtant c'est dans une vraie spiritualité que les peuples puisent leur force.
Pourtant enfin c'est en restaurant ces fondations qu'ils pourront retrouver une vraie liberté qu'ils ont troqué contre le libre choix, lequel est à la liberté ce que le low-cost est au luxe.
Mais personne n'en veut plus du luxe, inatteignable par des esprits recroquevillés sur une idée de petite vie, de petit confort, de petit salaire, de petit environnement social, la grandeur les impressionne, alors  ils se déchargent sur un hypothétique héraut portant leur volonté de grandeur dans un verbiage flattant ce drôle de désir naturel de sainteté mais auquel ils ne veulent pas souscrire par eux-mêmes. Atteints de la "citationnite" aigue, les rebelles, cachés derrière leurs zhéros, ne voient que les fenêtres de travers et continuent de plâtrer, laissant les fondations glisser inexorablement vers la ruine finale.