Dans notre lente descente aux enfers, il est des coins d'ombre qu'on n'ose mettre à jour tant il est vrai que ces petits coins et recoins sont souvent chéris et entretenus par notre incommensurable faiblesse devant la force de l'appel hygiénique.
Examinons un peu le levé de ce roi qu'est l'occidental: à peine sorti de sa torpeur nocturne, l'occidental se jette sous la douche, pour des raisons diverses. Ne trouvant pas au dedans de lui la force d'ouvrir les yeux au monde de manière aimable, il va confier à l'hydro-jet le soin de raviver ses nerfs exacerbés, ou alors parce qu'il lui faut à tout prix éliminer cette horrible sudation dermique, souvent provoquée par trop de confinement. Puis entouré de la serviette notifiant le passage obligé de la douche, il va de son lit à son armoire à la salle de bain, et ça tourne et retourne et chuchote. Des aérosols s'activent contre les milliards de petites bêtes qui empoisonnent la vie de ce nouveau roi dans un concerto de pshitt en si phonné, des senteurs variées et chimiques s'élèvent alors, associées à l'ennivrant "boisé" du gel douche, à la lourdeur de "l'amande douce" du shampoing, à la relative fraîcheur du "marine" des toilettes, sans oublier la "lavande" du linge adouci pour ces peaux délicates et malmenées. Les relents froids des bâtons d'encens brûlés la veille au soir mélangés aux restes de cendriers sont provisoirement anéantis dans ces effusions matinales, mais sauront se rétablir dès le retour du soir. On entends le frottement énergique de la brosse à dent au mentol pour mettre en bouche avant le petit-déjeuner, puis de nouveau des pas et des bruissements, ça se poursuit vers la cuisine, toujours vêtu de ce pagne moderne; alors l'odeur du café chatouille douçâtrement les papilles pendant la séance de vêture largement commentée et analysée devant le miroir en pied de l'armoire entr'ouverte. Puis se mêlant à cette symphonie fantasmagorique olphatique, l'odeur du parfum soigneusement choisi envahit soudain l'atmosphère, se faufilant de toutes ses particules à travers portes et fenêtres; il est à notre époque ce qu'est le masque au pierrot: un échappatoire, une signature, une personnalité renouvelée et changeante.
Tant de temps passé ainsi à cultiver son ego, il n'en reste plus assez pour s'asseoir et apprécier un bon petit-déjeuner avec son conjoint, ses enfants, ses parents. La tasse bue debout comme un voyageur, le baiser claqué sur les joues, des pas encore, empressés, pressés, tournant et retournant, pour attraper son sac, son mobile, son parapluie, puis la porte qui claque.
Dans la rue, le métro, le bureau, les parfums se mêlent et s'accusent, ils donnent le prix et la classe sociale, ils sont cruels et arrogants, ils m'écoeurent.
Transporté, par un besoin tendance de se mettre au vert quelques jours, dans une nature vraie aux odeurs vraies, notre roi se sentira soudain agressé par ces petites bêtes qui piquent et qu'on ne peut éradiquer d'un simple pshitt, par ces odeurs non contrôlées, mêlant l'herbe fraîchement coupée au purin de la ferme voisine, par une chaleur étouffante succédant à une fraîcheur frissonnante sans pouvoir gérer avec la télécommande...
Toute cette recherche de sent-bon étouffe l'occidental de tout poil, l'amollit, lui enlève la possibilité de supporter la force d'une odeur de transpiration laborieuse, d'apprécier celle de la nature, celle toute simple du corps humain qui dégage naturellement des odeurs agréables et vraies que les enfants seuls peuvent encore reconnaître.
Petite leçon d'un enfant de 8 ans :
-"mais...tu as mis du parfum, maman!
-tu aimes?
-non, j'aime bien mieux ton odeur de d'habitude."
Magnifiquement écrit !
RépondreSupprimerMon commentaire s'est évaporé, je recommence.
RépondreSupprimerIl faut reconnaitre qu'avec ou sans parfum, le métro c'est assez "dégueu", alors autant sentir la rose que "Brise d'Anus".
Dans quelque temps, vu le prix du pétrole, on va se laver à l'eau froide, peut-être que ça augmentera encore les ventes de parfum ?
Il faut bien reconnaitre que nos ancêtres - ceux qui en avaient les moyens - se couvraient de parfum, de dentelles et de rubans. Pour autant ça ne les a pas empêché de mettre fréquemment la pilée à leurs adversaires.
L'essentiel se tient dans la tête, qu'elle soit lavée ou non au shampooing à l'huile d'amande douce.
Pour illustration cette description de la première rencontre d'un éclaireur Perse et des Spartiates à la veille de la bataille des Thermopyles :
"[...] l'homme les vit les uns occupés à faire de la gymnastique, les autres à peigner leur chevelure : il les regarda faire avec surprise[...]
Il ne faut certes pas une absence totale de parfum, d'ailleurs meme dans l'Evangile, le Seigneur dit:" quand vous jeunez, parfumez-vous la tete."
RépondreSupprimerNon, il faut voir surtout le fait que de nos jours les gens ont une propension à la sur-hygiene, et au melange de dizaines d'odeurs toutes plus chimiques les unes que les autres.
Savoir prendre soin de son corps ne signifie pas l'idolatrer: la nuance a notre epoque n'est pas franchement acquise.
D'ailleurs, nos ancetres, Romains, Grecques et Gaulois, ont entamé leur decadence quand ils ont commencé justement a se couvrir de dentelles, parfums et rubans.
Et puis, vous savez, je me lave a l'eau froide depuis maintenant 5 ans (decroissance oblige, j'ai pas de chauffeau, mais quand meme en hiver j'attends que l'eau ait chauffé au soleil dans le tuyau d'arrosage pour prendre une douche chaude dans le jardin....), le parfum ne fait pourtant pas parti de mes achats prioritaires!
Faites goûter un bon vin à un enfant de huit ans et il vous répondra "beurk, je préfère le coca, ou le jus d'orange!".
RépondreSupprimerEt puis c'est facile de dire que les parfums empêchent de sentir les bonnes odeurs de la nature quand on vit à la campagne... Quand on vit en ville, on peut se servir du parfum justement pour ramener la nature à soi: il existe des parfums 100% naturel, des produits artisanaux, véritables poèmes olfactifs... Mais bon, ils sont chers, je m'tais.
je crois que je ne me suis pas tres bien exprimée...j'ai encore des progrès à faire!
RépondreSupprimerC'est pas bien grave.
Je plaide seulement pour la petite goutte de parfum déposée delicatement dans le cou et qui fera dire à ceux qui se rapprocheront assez près de vous que vous sentez bon. Le parfum est un peu un jardin secret qu'on n'expose pas à tout venant, mais aux etres proches.
Et puis, dans la maison, vive le bicarbonate de soude et les bouquets de fleurs!!!