C'était dans le froid et la lumière clignotante d'un 31 décembre parisien, Lucie et Thierry marchaient côte à côte riants et pressés, échauffés par un bon dîner, excités par ce début de nuit prometteuse d'être blanche. Ils allaient pour danser, rire et charmer.
La salle est vaste, longue et laide, le plafond plutôt bas, des tables en formica font barrage à l'entrée pour payer. Une bonne cinquantaine de vingtenaires sont là dans une ambiance bon enfant; les filles ont des jupes, les chaussures plates, les cheveux attachés, l'air mutin et déluré, peu de fard et d'accessoires extravagants. Les garçons en basket et pantalon de soirée, ont laissé la cravate des jours de fête mais sont vêtus de chemises aux couleurs vives ou simplement blanches couvertes d'un veston qui restera sur les chaises toute la nuit. La passion du rock'n roll unit tous ces jeunes et moins jeunes, ils sont là pour en découdre avec les têtes qui tournent, les jupes qui virevoltent, les pieds qui se mêlent et s'entremêlent dans un rythme effréné. Elvis et Little Richard ont déjà commencé à remuer quelques premiers danseurs, lesquels, profitant d'une piste encore libre, se sont lancés dans des acrobaties aériennes, recevant leurs partenaires d'une main ferme et maitrisée à quelques centimètres du sol.
La soirée avance, Lucie n'est pas de reste et passe de danseurs en danseurs, faisant le tour de toute la petite bande joyeuse qui s'échange les partenaires. C'est cela l'esprit rock'n roll: la liberté d'échange pour le temps d'une danse...
A minuit, le DJ a la bonne idée de lancer une valse de Strauss, la piste se vide, on se souhaite la bonne année. Soudain, comme mu par une attirance télépathique foudroyante, traversant la piste, un inconnu se plante devant Lucie et l'invite à valser. Elle est fine et longue, peut-être un peu trop pour une fille, lui est de stature droite et franche, pas très grand pour un garçon mais de la même taille qu'elle: l'harmonie est parfaite pour cette danse.
C'est alors que le silence s'installe peu à peu dans la salle, on regarde ce couple qui semble ne plus toucher terre, ils tournent et tournent inscrivant des volutes parfaites tout autour de la piste, la main de Vincent imprime une légère pression rythmée sur la taille souple de Lucie instaurant une maîtrise virile sur cette grâce féminine. Il la mène, la transforme, l'empêche de se tromper de pas, la sublime. Plus rien n'existe autour d'eux, la salle si laide devient un palais royal. Pour garder l'équilibre Lucie ne quitte pas des yeux son partenaire, confiante, abandonnée; Vincent, la tête mobile et entreprenante, se charge d'éviter les écueils, les obstacles, il dirige.
En cet instant, la complémentarité du couple s'impose, évidente: véritable insulte au féminisme revanchard, à l'homosexualité débridée. Ces quelques minutes ont révélé l' émanescence magique de l'union d'un homme et d'une femme, et le rôle irremplaçable de l'un et de l'autre; en cet instant personne ne voudrait voir l'un être l'autre, car l'un ne pourrait être l'autre sans que cela ne devienne ridicule. Etrange complexité normative que cette simple danse..., qui remet les choses naturelles à leur place, avec bonheur, car on ne voudrait pas que ce soit autrement. Les biologistes et autres défenseurs du "neutre" ne pourraient plus exalter, sans une très mauvaise foi, une alternative à la binarité du monde, masculin et féminin, s'ils aimaient danser la valse.
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